I- Les différents NOMS du village à travers l'histoire

 

 

 
  
 
I.1. SAINTE-EULALIE: Les ORIGINES



I.1.1   SAINTE EULALIE : qui était-elle?

          Sainte Eulalie, vulgairement appelée "Aoulario", naquit en 292 en Espagne,à Mérida (Estremadura). (1)

           Alors qu'elle avait 12 ou 13 ans, elle fut, parmi bien d'autres chrétiens,victime des persécutions de l'empereur romain Dioclétien. Le proconsul Dacien n'ayant pu la gagner au culte des idoles, la soumit à des tortures horribles et redoublées: flagellation, bain de chaux vive  et de plomb fondu, chevalet, torches ardentes... (2).Enfin, couverte de charbons incandescents, elle rendit à Dieu son  âme de martyre (3).(Cette fin tragique fit en 880 l'objet du chant, cantilène ou séquence de Sainte Eulalie, qui est le plus ancien poème  en langue d'oïl que nous possédions).

Pour lire le Cantilène de Ste Eulalie et sa traduction en français moderne, voir le site : http://www.restena.lu/cul/BABEL/T_CANTILENE.html

           C'est vers le VIème siècle que son culte dut être introduit dans le diocèse de Rodez. Collin (4) raconte que Sigebert, roi d'Austrasie,à la sollicitation de Brunehaut, fille d'Athanalgide, roi des Wisigoths d'Espagne, envoya prendre les reliques de la Sainte. Choisi pour cette sainte mission, Elaphe, évêque de Chalons, tomba malade sur le chemin du retour, à Rodez, et y mourut vers l'an 533. Et dès lors, SainteEulalie fut honorée en Rouergue.
  

I.1.2  1ère mention de Sainte-Eulalie

          Sainte-Eulalie était une des principales paroisses, parmi les 15 revendiquées dans notre région par Saint Dalmas, évêque de Rodez au VIème siècle. C'est peut-être à ce moment-là que furent fondées les premières églises rurales et que le culte de Sainte-Eulalie donna son nom à notre localité.

           L'église actuelle fut-elle reconstruite aux Xème - XII ème siècles par les Bénédictins de Gellone, puis par les Templiers sur les ruines de l'ancienne chapelle dédiée à SainteEulalie et détruite par les diverses invasions que notre village eut à subir? La question reste pour le moment posée.
 

I.1.3  Les diverses orthographes au Haut Moyen-Age
 

           Dans les recueils de chartes publiés par Cl. Brunel (5) ,  l 'orthographe de Sainte-Eulalie qui est en général celle de Sancta Eulalia   devient parfois Sancta Euladia (chartes 162- N° 249) ou  Sancta  Eulazia (Livrede l'Epervier et cartulaire de l'Abbaye de Nonenque) ou simplement  Sancte Eulalie   (cartulaire de Nonenque).
 
 

I.2  SAINTE-EULALIE de Larzac

           Toute notre histoire le prouve, le nom de Sainte-Eulalie est, on ne peut plus, lié au Larzac qui nous entoure. En 1158, le Comte de Barcelone donne à Elie de Monbrun, alors Maître du Temple en Rouergue, le village de Sainte-Eulalie et la contrée dite Larzac qui s'y rattache (VillamSanctae Eulalie et terram que dicitur l'Arzac (6).

             Le livre  de l'Epervier parle de Sancta Eulazia de l'Arzac (1184) et de " la Vilhade Sancta Eulazia quanten l'Arsac", le Cartulaire de l'Abbaye de Nonenquede " Seinnor Fraire Peire Raimunt, Commandador de la maiso de Sancta Eulalia de la Cavaleria del Temple del Arzac", ainsi que du même" frater Petrus Raimundi, miles preceptor domus Sancte Eulalie milice Templi de Larzaco".

               Sous les Hospitaliers, les "Ameilheurissements" (7) de la Commanderie portent le titre de Sainte-Aularie de Larzac, au diocèze de Vabres, sénéchaussée de Rouergue.
 
 



I.3  SOURCE  LIBRE

 


A la Révolution  de 1789, on oublia le Larzac pour  ne se souvenir que du Cernon. Mais alors, on en voulait surtout aux "Saints" et notre village perdit son nom de baptême  pour prendre un certain  temps  celui de Source Libre qui était  plus évocateur.  Les extraits des registres contenant les ventes des  Biens Nationaux  du District de Saint-Affrique  mentionnent très  souvent  la division  du château de Source Libre, la municipalité  de  Source Libre et la Commanderie  de. Source  Libre  (25 fructidor,  anII,  Montagne-sur-Sorgue) (8).  
 

I.4  SAINTE-EULALIE DE CERNON

             Quant au mot Cernon qui depuis 80 ans remplace le mot Larzac (l'appellation  révolutionnaire ayant peu duré) il s'agit encore une fois d'un  nom défiguré dont l'orthographe vraie, comme le faisait déjà  remarquer l'abbé Hermet (9), est Sernon, avec S. En patois on dit d'ailleurs  "Lou Sarnou" et les  anciens titres en latin  ou en Langue d'Oc portent la mention "Flumen Sarnonis" quand il s'agit de  la rivière(Sarno -l'apenderia d'a la Doz de Sarno)  et de 'Sarnonenca"  quand il s'agitde laVallée du Cernon. Il faut donc  regretter que notre  village ne porte plus son véritable nom de  Sainte-Eulalie  de Larzac (10).


 



II.Les ORIGINES :

 

(Voir les § I.1.2 , I.1.3et I.2 ci-dessus)
 

III. FEODALITE :  du  Xème  au  XIIème  siècle

           Les petits seigneurs qui jouent aux roitelets se plaisent à guerroyer les uns contre les autres. Ces troubles fréquents empêchent uneculture normale de la terre et rendent difficile tout l'élevage. Lacirculation est dangereuse, les famines fréquentes et parfois terribles.
            Les archives départementales et les monastères voisins nous révèlent qu'il existait en ce temps-là, un système défensif qui avait été organisé par les seigneurs locaux. Il consistait en une série de forteresses bâties sur les falaises du Larzac ou sur les hauteurs environnantes:
 

             Toutes ces fondations religieuses doivent leurs origines à des donations.La petite agglomération de Sainte-Eulalie, autour de son église, fait partie de la vicomté de Millau (11). Une foule de petits seigneurs, dans la foire d'empoigne qui a suivi le démantèlement de l'empire Carolingien, se sont partagé, dans un morcellement devenu inextricable, les seuls revenus terriens. Pour n'en donner qu'une idée, on peut préciser que les petits seigneurs locaux Bernard de Montorsier, Olivier et Arnaldu Monna, Bégon de Ségur et Gac de Peyrebrune, se partagèrent la possession du mandement de Cornalach, sans oublier l'abbé de Conques qui y possédait aussi des biens (il donnera bientôt aux Templiers la moitié du mas du même lieu) (12).La même complexité règne d'ailleurs dans les fermes qui paraissent très nombreuses: C'est ainsi que Bernard de Millau, Prieur de l'église dde Saint-Amans de Boysse, engage à Bertran Jouven 9 mas situés dans les environs de "Solatgues"(13), et que Raynal Raymond du Monna donne à l'abbé deGellone 7 mas ou fermes qu'il possède dans les environs de Saint-Estèvedu Larzac (14).



IV. LES TEMPLIERS, ORGANISATEURS DU LARZAC:  du  XIIème  au XIVème s.
 

Templier sur fond de Croix du Temple




4.1 Grandeur...

            L'ordre du Temple fondé en Palestine vers 1118 (1119 selon Dalliez) était une sorte de puissance internationale dans les Etats Européens de ce temps-là. Ne relevant ni des évêques ni des rois, il n'avait de comptes à rendre qu'au Pape. Et le Pape était loin!

           En Orient, le Temple fut surtout une armée en campagne; en Occident,il devint un facteur de civilisation et de Paix.

           Au grand  soulagement des populations lasses des guerres et des mauvais traitements, les Templiers , Pauvres chevaliers
du Christ et du Temple de Salomon, s'établirent en Rouergue vers 1140. Durant les premières années qui furent toutes de lumière, seigneurs et particuliers leur font de nombreuses donations qui serviront de base à la future préceptorerie de Sainte-Eulalie.

           En1140, Raymond de Luzençon se faisant recevoir dans la milice du temple, leur donne sa résidence et ses vignobles de Luzençon et de Creissaguet. En 1148, Arnal du Monna leur cède ses droits sur le mas de Caussenuéjouls et l'abbé de Vabres, la demi-dîme du mas du Bès. En 1150, Bernart Escoda  leur fait don de l'aleu qu'il avait dans le mas "Principal deViala" (Viala du Pas de Jaux), Ademar d'Auriac de ses droits sur le mas de"Fraissinel",  Bermon de Luzençon d'un terrain à Saint-Georges. En 1151, l'abbé de Gellone leur cède l'église de Sainte-Eulalie et ses dépendances, Peire de Creissels et sa mère ce qu'ils ont à "Pui-Cau" et "Bozole". L'abbé de Conques, en 1153, leur donne Flaujac et le demi-mas de Cornalach. Et le domaine s'augmente rapidement: 1155:  Daudé Raimon leur fait don de ses terres de Roquefort; 1156: Daudé  Airal leur lègue le"mas supérieur du Larzac"; 1157: Guilleme, fils d'Aldebert G. de Castelnou, abandonne en leur faveur ses droits sur le mas  du Larzac, appelé de"l'Albespi".

           Mais  en 1158,  l'établissement définitif de l'Ordre à Sainte-Eulalie est dû à l'acte par lequel Raymond Berenger, Comte de Barcelone et roi d'Aragon, en sa qualité de tuteur de Raymond Berenger II, vicomtede Millau, trop  jeune pour exercer ses droits, donne à Elie de Monbrun, Maître  en Rouergur, sa "ville" (c'est-à-dire, ses droits civils)  de Sainte-Eulalie,et la terre dite "Larzac" avec permission d'y construiredes "villes" (villas) et des places fortes (forcias)(15) .

           A cette  donation fondamentale s'ajouteront en 1167, le mas de la Caze, en1160, la   moitié de la dîmede Massenal, en 1170, du mas de  la terre du  Destel, du demi-mas du Bezet, etc...

           Sous  l'influence d'un christianisme renaissant, on assiste à une sorte de  remords de conscience, à un abandon des formes de violence et de domination des siècles passés. Les seigneurs locaux, dilapidant leurs biens sansdoute mal acquis, se donnent (corps et biens) au Temple" a Deu et a S.Mariae alz cavalers del Temple de Jherusalem ", pour le salut de leur âme et afin de racheter les fautes de leurs pères. La maison fortifiée deSainte-Eulalie assurait aux généreux donateurs une sainte retraiteet le petit cimetière attenant, le repos éternel.

           En même  temps, l'Ordres'organise, Eliede Monbru (16) qui a  succédé à Pons de Luzençon  à la  têtedu Rouergue, devient Maître de la Maison de  Sainte-Eulalie  dont Bertrand  Galquier est le commandeur.

            Bientôt, comme le souligne H. Dupont(17) , la politique du Temple ne tarde pas à devenir conquérante: il va tout faire pour obtenir la possession complète du Larzac. Par la persuasion, par l'argent et au besoin par la force, il va désormais évincer les détenteurs. Les dons deviennent alors des ventes déguisées.

           Ainsi,vers 1170 (18), Dame Ricarde,femme de Peire Azemar (Ricar moiller de Peire Azemar)   leur cède  ses droits sur la Cavalerie (Cavaleria e Larzac) moyennant 400 sols  melgoriens et un poulain de 50 sols. En 1172, Azémar d'Auriac leur  vend le champ des Verquières; en 1178, Guilhem de Saint-Jean sesdroitssur les 7 mas de Villevieille; en1181, Ricard de Montpaon le mas Aimar de la Couvertoirade, Arnal Vaque, le masde Roussillon, l'abbé de Conques  leur cède l'église d'Alzobre (moyennant 50  sols rodanais) et  l'évêque de Béziers, l'église  de Saint-Martin des  Ubertes(une entrée sur le Larzac près du col de Notre-Dame). En 1182,Richard de Montpaon et tBringuier du Monna leur donnent le territoire de la Couvertoirade. En 1184,ils acquièrent les mas de Marradal, des Ausedatz, de Cogullade l'Escaillo,de Prestin de l'Erm, de la Claparedas, du Molar de Flaujac, de Massenal, de la Blaqueria, du Razal, de Pug Agut, d'Airaldenc, de Pug Blos... (19). Nous n'en finirions pas d'énumérer toutes les acquisitions qui leur permettent d'être rapidement les maîtresdu Larzac et d'étendre leur domination jusqu'au Luc (Gard), Clermont-l'Hérault, Lodève, Canet, Rocozels, St-Sernin, Tiveret (20).

           Ils  peuvent dès lors penser à regrouper les populations autour  de  quelques points forts qui éviteront la dispersion de l'immense Larzac. Sainte-Eulalie, aux sources de cette pénétrante qu 'est la vallée du Cernon, offrant un climat moins rigoureux que  le plateau et bénéficiant d'une herbe qui convenait mieux aux  chevaux de guerre, deviendra le chef-lieu  de la nouvelle zone de conquête.

           C'est ici qu'ils construiront (Raymond Bérenger, vicomte de Millau ayant donné son autorisation en 1158) leur maison fortifiée ("la maiso de S. Eulalia" dont Elias de Monbru sera le 1er Maître), qu'ils fortifieront l'église reçue de Gellone (21), avant de construire des places fortes à La Cavalerie, La Couvertoirade, Le Viala du Pas de Jaux, qui deviendront les membres principaux de notre Préceptorerie (22).

           Les  autres seigneuries religieuses doivent désormais céder devant le Temple: les bénédictins abandonnent Sainte-Eulalie, Saint-Etienne,  Saint-Pierre. Bonneval signe un véritable "traité des frontières": les Cisterciens renoncent à acquérir des biens entre le Tarn,  la Dourbie et la Sorgue, tandis que le Temple lui laissera le champ libre entre la haute valléede l'Aveyron et celle du Dourdou (où se forme la grange des Galinières)" (23).

           Bientôt  le comte (24) et l'évêquede Rodez (1187-1189) sont forcés de reconnaître la toute-puissance  de la Préceptoreriede Sainte-Eulalie, protégée par le  roi d'Aragon, comte de Barcelone et seigneurde Montpellier.

           Constituant  un immense domaine d'un seul tenant où ils ont tout pouvoir sur le plan religieux (gestion des prieurés et des cures), comme sur celui de la  justice civile, avec des places fortes impressionnantes, des chevaliers qui  forcent l'admiration et un système de gestion à toute épreuve, ce maillon local de la grande chaîne nous donne une idéede la  puissance du Temple qui, véritable Etat dans l'Etat, tissait une formidable  toile  d'araignée...
 

4.2 ...et décadence

           Vers  la fin du XIIème  siècle,l'Ordre va dévier de sa mission  initiale. Fondé  pour la défensedes lieux saints, sa raison  d'être a disparu:en effet, en 1270, la mort du Saint Roy Louis IX  devant  Tunis, qui marque la  fin de la VIIIème et dernière Croisade,a également sonné  le glas du Royaume Latin de Jérusalem. Ayant désespérément attendu des secours qui ne vinrent  pas, les derniers croisés ont vaillamment lutté pied à  pied sur la Terre Sainte. Finalement encerclés dans Ptolémaïs  (St-Jean d'Acre), ils ont soutenu contre les troupes sarrazines un siège  long et glorieux; victorieusement d'abord, puis, écrasés sous le nombre, ils doivent abandonner la partie, le grand Maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, ayant trouvé la mort  à la tête   de ses chevaliers (1291).

           Les Hospitaliers de Saint-Jean se sont alors repliés vers Rhodes, où ils ont installé leur magistère. Quant à l'Ordre du Temple, une fraction s'est établie à Chypre, tandis que la plus grande partie a rejoint ses Préceptoreries de France, le nouveau grand Maître résidant à Paris.

            Mais l'Ordre était devenu la première puissance financière de son temps. Dans ce domaine, n'a-t-il pas tout inventé? La lettre de change, le chèque, le crédit, les payements à l'étranger ont été imaginés par lui.

           Mais l'argent appelle l'argent. Les chevaliers, que le prestige acquis sur les champs de bataille de Palestine porte à l'orgueil, ne se gènent pas pour pratiquer le pillage (une bulle de 1139 semblant d'ailleurs les y autoriser). Ses privilèges considérables lui permettent une attitude proche même du défi: ordre souverain, il obéit au  Pape et quelquefois même refuse de lui obéir! S'ajoutant à cela, leur vie se dérègle quelque peu et perd de la dignitéque l'on doit attendre des moines - ne dit-on pas désormais "boire ou jurer comme un Templier"? De plus, une existence pleine de mystère leur donne mauvaise réputation: leur "blanc manteau" n'est plus le symbolede chasteté que le peuple s'est plu à leur reconnaître.

           A Sainte-Eulalie, les soldats du Christ suscitent jalousie et rivalité. Une période troublée s'ouvre pour leur préceptorerie: les Jourdain de Creissels et les Roquefeuil de Nant leur mènent la vie dure et les Templiers doivent faire face sur plusieurs fronts: contre l'abbesse de Nonenque, contre l'abbéde Sylvanès, contre l'abbé de Saint-Guilhem et enfin contre le comte de Rodez qui voudrait bien récupérer unepartie de son comté(25).

           En1280 éclate un important litige entre les habitants de Millau et les Templiersde Sainte-Eulalie. Les premiers prétendaient avoir le droit "abantiquo": 1° de mener leurs troupeaux sur le Larzac et de les abreuver aux mares; 2° d'extraire de la tuile sur ce territoire; 3° de couper du gros bois et du menu bois dans les forêts. Les Templiers soutenaient qu'étant propriétaires exclusifs du Larzac par acte public,aucune servitude ne pouvait être tolérée. Le Sénéchal de Rodez arbitra le 5 des Ides d'octobre 1280, "pro bono pacis et per inperpetuum":
                1° Les Templiers conservaient la pleine propriété du territoire;
                2° Les habitants de Millau conservaient la jouissance du pâturage, mais la faculté de défricher était réservée strictement à la Maison de Sainte-Eulalie et à ses mandataires (26).

           Au plan national, il est désormais difficile à Philippe le Bel, fondateurde la monarchie absolue et soucieux de préserver l'autorité royale, de tolérer dans son royaume la présence et l'influence d'un ordre qui l'a une fois déjà humilié de sa protection, d'un ordre aussi imposant relevant de la puissance étrangère du Pape qu'il commence, aidé par son juriste et conseiller Guillaume de Nogaret, par museler en Avignon.
 
Philippe Le Bel

4.3...  La fin du Temple

           On connaît le long procès, les tortures, les rétractations faisant des accusés des relaps condamnés au feu. Le problème de l'Ordre, accusé d'idolâtrie, de sodomie et qui a soi-disant renié le Christ sur lequel il crache, est complexe et encore obscur...

           Au petit matin du 13 octobre 1307, les Templiers de Sainte-Eulalie furent arrêtés et conduits au château de Najac, où, au nom du roi, le Seigneur Gaillard Nègre les fit incarcérer...

           Après de nombreuses tergiversations, le Pape à son tour les abandonne,et, en 1312, le Concile de Vienne dissout l'Ordre du Temple, et le 19 mars 1314, leur chef, Jacques de Molay est brûlé vif.

          Hugues de Sance (27), dernier précepteur de la maison de Sainte-Eulalie, laissait en héritage ses terres du Larzac, ses places fortes, ses greniers pleins des moissons de l'été, 35 chevaux, des mules,des ânes, 63 boeufs de labour et plus de 6000 brebis marquées de la croix du Temple (28)...



V.LES HOSPITALIERS  DE L'ORDRE DE St-JEAN DE JERUSALEM:
du XIVème  au XVIIIème s.



5.1 ...  La succession des Templiers

           Philippele Bel attendait beaucoup de la chute des Templiers. Mais cette grande affaire  ne fut finalement pour lui qu'un acte de foi. Clément V, en effet,  attribua  leur immense héritage aux Hospitaliers de Saint-Jean. Mais de Trésor,  point de caché...

           Le 28 mars 1312, le roi donna l'ordre au Sénéchal du Rouergue de mettre en possession des biens des Templiers situés en Rouergue, Léonard Tibert, procureur de l'Ordre de Saint-Jean (29).

           Aussitôt, sous l'ormeau de la place, sont publiés les règlements de police concernant la culture des terres, l'usage des bois, la chasse et la pêche, la garde des animaux, l'exploitation des mines de fer et de charbon dans la juridiction de Sainte-Eulalie(30). Un article concerne même les filles de mauvaise vie à qui on interdit de séjourner. Mais, chose curieuse, si l'une d'elles parvient à pénétrer dans la cité, on tolère"qu'elle fasse commerce de ses charmes pendant un jour et une nuit". Passé ce délai, celui qui l'hébergeait était passible d'une amende de 15 sols tandis que la ribaude courait le risque de se voir confisquer ses vêtements avant d'être expulsée au-delà des limites de la paroisse (31).

           La règle est à nouveau de rigueur. Une page est tournée...

           En1333, une lettre de Philippe le Bel, roi de France, mande de maintenir le commandeur de Sainte-Eulalie en la Justice haute, moyenne et basse du Larzac.

           En1339, Philippe VI de Valois passe à Millau et y transige avec le vicomte de Creissels et l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem relativement au péage qui se percevait sur le vieux pont de cette ville. Il met ainsi le point final aux contestations qui s'étaient élevées entre plusieurs communes et divers seigneurs sur les limites de leurs juridictions respectives: Consuls de Millau, vicomtes de Creissels, Ordre de Saint-Jean pour la Commanderie de Sainte-Eulalie, le Prieur de Cassan et le seigneur de l'Hôpital Guibert (L'Hospitalet).

5.2  Insécurité  -  La défensive

           En 1340, le même roi exempte la maison de Sainte-Eulalie du ressort de la supériorité de la ville de Millau.

           En 1362, le Rouergue étant cédé à l'Angleterre par le désastreux traité de Brétigny, Sainte-Eulalie passe sous la dépendance anglaise.

           En1377, pendant la nuit du 11 juillet, avec sa barbarie habituelle, François de Roquefeuil (32) incendie le château et pille la ville. Sicard de Murviel, alors commandeur et grand prieur de Saint-Gilles est abandonné en chemise dans les solitudes du Larzac.
 

5.3  La Guerre de Cent Ans

           Pendant cette guerre désastreuse menée contre les Anglais, les Hospitaliers doivent lutter contre les pillards et les bandes de routiers qui ravagent le Rouergue. Les habitants se plaignent de ne plus pouvoir tirer du sol ce qui est nécessaire à leurs besoins. Les commandeurs sont forcésde réduire les census.

           En1385, une bande de routiers, campée à Sainte-Eulalie, ravage les environs. En 1389, les mêmes routiers sont maîtres du pays et y vivent à ses dépens, en capturant les troupeaux dont ils tirent rançon.

           L'insécurité devient de plus en plus grande: " Le vol et le pillage étaient devenus un métier, une industrie, une exploitation soigneusement organisée... Entre deux expéditions de grand chemin, et pour varier leur plaisir, il ne déplaisait pas à ces bandes de s'exercer sur les paysans, gent timide, sans armes et incapables de résistance. Leur bétail gras et bien nourri est d'une vente facile, et il y a toujours de l'agrément à bousculer des meubles et à incendier des chaumières ".H. Bousquet (33).

           Les châteaux forts des Templiers qui avaient assuré la protection de leurs domaines pendant deux siècles étaient désormais insuffisants pour donner à la population le moyen de se défendre efficacement.

           En1441, le 13 décembre, le Commandeur Bertrand d'Arpajon, grand prieur de Saint-Gilles,à la demande de ses vassaux, décide la construction des fortifications de La Couvertoirade. Les travaux dureront 4 ans.

(Sur le rôle des fortifications au Moyen-Age, voir l'excellent site http://www.lodace.com/histoire/objet/fort1.htm)

             En 1442, le même commandeur décide la construction des remparts qui protègeront la population contre les routiers et lui donneront la sécurité qui lui manque. Le contrat de construction à prix fait (rédigé sur un parchemin de deux peaux de 1,45m. de hauteur sur 0,51 m., dont l'original se trouve aux arch. de la Hte-Garonne, fonds de Malte) passé par la Communauté de Sainte-Eulalie, le 14 octobre 1442, devant Maître Cabiron, notaire à Nant, nous prouve que les fortifications sont conçues sur un plan plus étudié qu'à La Couvertoirade.

            Maître Déodat d'Alaus, tailleur de pierre, (Lapicida ou peyrerius) associé à Maître Pierre Moinier de Calmont, est chargé de l'entreprise.

           A cette époque notre village qui s'est groupé autour de la Commanderie comprend 40 chefs de maison dont les noms figurent au contrat. La population ressortissait en gros à 310 âmes.

           Il est ici intéressant de noter les principaux détails du prix forfaitaire de l'oeuvre (34). La Communauté versera aux entrepreneurs:

            Le Prieur garantit l'engagement pris et donne à la Communauté 7 écus et 400 moutons d'or (mottons d'or), 80 setiers de blé et prend à sa charge une partie de la porte d'entrée.
            D'autres articles du contrat concernent les matériaux nécessaires à cette place de guerre du Moyen-Age:
           "La chaux nécessaire à la construction sera fabriquée sur place au moyen d'un four que la Communauté s'engage à installer à ses frais. Le Prieur l'autorise à utiliser gratuitement à cet effet tout le bois lui appartenant dont elle aura besoin, sous la réserve qu'elle n'emploiera pas à cet usage les poutres susceptibles par leurs dimensions de servir à la construction des maisons.
           Les entrepreneurs fourniront de leur côté et à leurs frais la main d'oeuvre et les bêtes tant pour le service du four que pour l'extraction et le transport de la pierre ou brézil (calcaire très friable). (Les environs immédiats du village sont en état de livrer le calcaire nécessaire pour la fabrication de la chaux: Puech Caut notamment). Ils pourront prendre pierres et brézil là où ils en trouveront, quitte à payer les dommages causés en prenant toutefois la précaution de ne pas gâter les récoltes (al mens mal que poyran).Ils pourront employer la moitié des pierres provenant des maisons démolies situées à l'extérieur de l'enceinte, exception faite des murs de jardins et autres propriétés closes, des pierres de taille, des portes, des fenêtres, des armoires, des éviers,des piliers ainsi que des tuiles et des poutres qui demeureront à leurs propriétaires...
           La Communauté fournira le bois nécessaire pour les échafaudages, les cintrages, treuils, chevilles, les cordes pour les treuils...ces divers objets feront retour aux habitants à la fin des travaux..."

           Les délais de livraison furent enfin fixés à trois ou quatre ans. Huit à dix ouvriers au minimum devaient travailler en permanence, tailleurs de pierre ou maçons (martellos opérantes et construentes).

           L'ouvrage qui aurait dû être achevé en 1447 au plus tard n'alla pas sans chicane car Maître Déodat d'Alaus était d'un caractère impossible. En 1449, les travaux étaient encore inachevés. D'après un procès qui s'en suivit, ce n'est qu'en 1450 que furent assurément achevés nos remparts désormais protecteurs de la cité...
 

5.4  Les guerres  de religion

           La prédication de la Réforme fut la cause des guerres de religion qui ensanglantèrent les règnes des trois derniers rois Valois. Les remparts de Sainte-Eulalie étaient à peine centenaires, déjà la Renaissance éclairait d'une autre lumière les sombres demeures moyenâgeuses. Ils ne pourront longtemps résister aux attaques des protestants venus de Millau. Une nouvelle époque de troubles va commencer pour notre région.

           En novembre1562, "sous la direction du Capitaine Caupierre dit "SeintPol", du Capitaine de Cornus, de Cantobre diet Les Pinas qui avait été moine à Nant ", un détachement de protestants assiège Sainte-Eulalie puis Lapanouse emportant tout le "bestial gros et menu" (35).

           Le 21 mars 1575 Sainte-Eulalie tombe aux mains des protestants conduits par le Capitaine Las Ribes. "Le vilatge fust pillé et quelques prestres prisonniers lesquels échappèrent avec ranson".

           En1625, pour se mettre à l'abri des protestants, l'évêque de Vabres se réfugie à Sainte-Eulalie .
 

5.5  La paix retrouvée

           Avec la paix retrouvée, la Renaissance puis le grand siècle vont introduire en France un nouvel art de vivre. A Sainte-Eulalie , c'est le Commandeur Jean de Bernuy-Villeneuve qui marquera tout particulièrement de son empreinte la commanderie majeure du Larzac. La construction n'est plus à la défense mais à l'agrément.

           Désormais la petite cité va ouvrir sa ceinture de pierres et devenir plus accueillante.

           La place sera transformée (36). Le cimetière est transféré hors des remparts, la fontaine construite, l'église inversée et largement ouverte, se pare d'un grand portail baroque aux armes du novateur, et de la Vierge en marbre blanc de Carrare. Des familles nobles attirées par la prospérité du lieu aménagent de belles demeures. Parmi elles, citons cellede M.de Monnie, médecin de Louis XIII, de M. de Senaux, premier Président du Parlement de Toulouse, de M. de Barrier qui obtient le droit avec le Sieur Déjean d'élever des tombeaux dans l'église.

           De belles fenêtres à meneaux éclairent les appartements qui s'enrichissent de peintures, de cheminées monumentales surmontées de décoration aux vives couleurs, de magnifiques plafonds à la française, d'escaliers à vis et de balcons en pierre aux grandes balustrades.

           Malheureusement,le reste de la population sur qui pèsent les nombreux impôts connaît une vie rude et précaire. Afin de subvenir à ces nombreuses dépenses, Jean de Bernuy de Villeneuve arrente à Vincens Sabatié et  Jean Arlès du lieu de La Cavalerie " la mine de charbon de pierre que le dit seigneur a au terroir dudit Cavalerie...Le prix de l'affermage devra être remis entre les mains de Pierre Cadars, prêtre et vicaire perpétuel du lei de Sainte-Aularie, pour être employé en achat de cire pour la lumière de l'autel de la paroisse, parce que personne, des paroissiens mourants ni vivants n'y faict aulcun don" (37).

            A la veille de la Révolution, la Commanderie de Sainte-Eulalie était une des plus belles que l'Ordre possédât en France. Le projet de l'Ordre de Malte à ce moment-là, était de la diviser en trois commanderies: Sainte-Eulalie,  La Cavalerie, La Couvertoirade.

           Il est instructif de savoir quelles étaient à ce moment, les charges qui pesaient sur des habitants qui vont bientôt se libérer du joug de la féodalité. L'un des derniers procès-verbaux de visite de la Commanderie et un rapport de M. Richeprey, chef d'une Commission nommée par l'Administration de la Haute-Guienne, datée de1780 vont nous éclairer:

           "Le bailly, haut seigneur spirituel du lieu de Sainte-Eulalie est nommé à la vicairie perpétuelle dans toute l'étendue de la paroisse.Il reçoit entière dixme, sauf à Saint-Etienne situé au mas du Rouquet. La dixme se paye de dix un en froment et seigle et autres grains et légumes, sur foin, chanvres, lins et chenevières. Plus droit de prémice du froment des tènements et apparats soixante gerbes une. La dixme du cannelage se paye en cochons, un de chaque ventrée, des agneaux et de la laine de dix un. Dixme du fromage se perçoit propotionnellement aux nombre des agneaux, deux livres et demie de fromage pour chaque agneau de dix une. Plus quatrième partie des fruits de La Devalade tenue à Champart par habitants pour 50 livres de redevances et censives. La cinquième partie de fruits sur d'autres terroirs des communaux où les habitants font paître les bestiaux peuvent faire du blé et autres grains...Un droit de champart de un septième des fruits au ségala, chemin de Millau, plus redevance de 15 setiers d'avoine et vingt sols d'argent au chemin Millau...
          Tout paroissien doit une journée avec boeufs, charettes, mulets, chevaux, pour dépiquer, ou une journée à bras pour ceux qui n'ont pas de bêtes...
          Le bailli possède le droit de lods des ventes , de charges qui sont de douze un..."

           Les censives du lieu s'élèvent à 119 setiers froment,180 setiers avoine, 2 litres d'huile d'olive, 6 litres de cire, 6 livres de poivre, un porc gras, quelques poulets, une géline par feu...Le comité paye une redevance annuelle de 50 sols pour l'eau de la fontaine. Les habitantsde La Blaquèrerie payent au bailli une rente de 15 livres pour l'entretien de la lampe...

           Les habitants de Sainte-Eulalie, ceux de La Cavalerie, ceux du Viala de Pas-de-Jaux, sont tenus de faire moudre leurs grains au Moulin Haut de La Doux et au Moulin Bas moyennant payement de banalités; même obligation pour le four banal.

           On fait remarquer au visiteur que "les terres étant froides (siliceuses) exigent beaucoup d'engrais et les frais de culture sont considérables (38). Les terres à froment ne se cultivent que de deux années l'une. Les terres en seigle produisent 5 pour 1, les terres à froment ne donnent que 4 pour 1. On cultive la première année en seigle, la seconde en avoine et la troisième en "bled" sarrazin ,puis elles reposent 2 ans". Seuls les communaux sont très avantageux. A la Devèze, les habitants ont droit de passage et de culture en payant au commandeur la quatrième gerbe.

           Le seigneur perçoit enfin un droit de prémice qui est du soixantième.

           "Dans la communauté, il n'y a aucun métier, les femmes filent le coton pour les fabricants de Montpellier et Saint-Affrique, mais ce genre d'industrie est très désavantageux. La laine n'est pas travaillée,mais vendue aux fabricants de Lodève et Saint-Affrique... On compte à Sainte-Eulalie  5000 brebis ou moutons, 270 grosses bêtes de labour ou bêtes de bât... Les mauvais chemins ne facilitent pas le commerce...
          Pour conclure, les assistants font remarquer que leur communauté est fort sujette aux ravines à cause des pentes fort raides, mais que malgré cela, leur communauté est fort allivrée...Les visiteurs font remarquer de leur côté que Lapanouze de Cernon l'est beaucoup plus encore (39) ...

           Le P.V.de visite de 1762 précise que l'illustre et vénérable frère Jean-Louis de Guérin de Tencin, Chevalier Grand Croix de l'Ordre, règne sur un domaine qui comprend outre son chef-lieu Sainte-Eulalie, les membres de La Cavalerie,de la Salvage, de Saint-Sernin, de Monteils, du Vialar de Pas-de-Jaux, de La Couvertoirade, du Luc, de Saint-Paul des Fonds,de Mayonettes, de Saint-Martin, des Hubertes, de Saint-Georges, de la Vialette et de Lodève.

           Dix ans plus tard, le P.V. de visite nous montre que le Commandeur de Mirabeau possède les mêmes domaines à l'exception du membre de La Cavalerie (40) qui paraîtra attaché au Prieuré de Toulouse. Les témoins interrogés répondent qu'ils "ont vu quelques fois le seigneur bailli de Mirabeau au présent lieu". Preuve que le commandeur ne réside plus définitivement à Sainte-Eulalie .

            Les mêmes témoins interrogés ajoutent que "les biens sont bornés, que rien ne leur a été pris et que les officiers rendent la justice avec beaucoup de désintéressement, personne ne se plaignant d'eux" .

           Ce témoignage est-il bien sincère à la veille de la Révolution de 1789? Même en relisant les mots de gratitude gravés dans le marbre en l'honneur du dernier commandeur de Sainte-Eulalie, nous en doutons beaucoup (41).


 

V. LA REVOLUTION DE 1789

           Chaque année du siècle avait conduit par toutes les routes à la Révolution et soudain le vieil édifice social va s'effondrer.
            Ceux qui jusque-là n'avaient eu que des devoirs demandèrent désormaisdes droits.

           Le Clubdes Jacobins qui avait des ramifications dans la France entière, élut domicile dans l'actuelle maison de Mlle G. Mathieu.

           Au milieu des excès de l'enthousiasme et d'une libération qui paraissaient sans limites, les archives, symbole écrit de l'Ancien Régime, furent brûlées en place publique. L'Eglise, image d'un clergé oppresseur, fut saccagée: les chapelles allaient devenir des étables,les fonts baptismaux servirent de déversoir à la fontaine, laVierge à l'Enfant de la façade fut enterrée. Les fleursde lys et les Croix de l'Ordre furent grattées, les armes des commandeurs et la fameuse plaque en marbre jetées bas. Rapidement, on voulut abolir tous les privilèges de l'Ordre et tout effacer du passé.

           Le 11 septembre 1794 (25 fructidor de l'an II) le domaine de Sainte-Eulalie du Larzac est divisé en 32 lots et mis en vente sur folle enchère par Jacques le Bel, homme de loi et feudiste de Saint-Affrique...